UTMISOL, Jean Jordy

juin 2020

Il en est des disques concept comme des collages. Par-delà les pièces rassemblées, c’est le résultat d’ensemble qui en fait le prix singulier… comme la richesse des liens que le récepteur se plaît à trouver dans ses composantes souvent disparates. La savante présentation que fait Marc Trautmann de cet enregistrement propose des pistes de relations, un regard unificateur qui justifie le titre de l’album. Mais chaque auditeur est libre d’avoir une autre lecture de cet agencement surprenant et magnifique. Tous reconnaîtront une évidence: Virgil Boutellis-Taft, pour ce deuxième disque, confirme qu’il est un très grand violoniste. Il réunit sept pièces de compositeurs, d’époques, de cultures, de climats différents et les fait vibrer, ricaner, méditer, prier avec un lyrisme frémissant. Si Incantation il y a, chant et mystère procèdent du jeu virtuose et touchant du jeune soliste français conjuguant chaleur et élégance, rigueur et engagement, élan et concentration. Du rare et baroque Tomaso Vitali (une hypnotique et imposante Chaconne aux insistantes digressions virtuoses) à la musique de film signée Shigeru Umebayashi (le célèbre et entêtant Yumeji’s Thème), s’illumine tout un monde lointain d’affinités et de raffinements que le violon subtil de notre compatriote tisse, telle une toile mystérieusement arachnéenne. Qu’importent que s’entrechoquent en son cœur les squelettes cocasses de la Danse macabre de Saint-Saëns, ici réorchestrée et plus incisive. Ils apportent à cette savante et pittoresque composition une touche ironique et distanciée bienvenue. Et dans cette pièce, quoique volontairement désaccordé, l’instrument parvient à troubler. Même si la tonalité mineure est dominante dans les œuvres réunies, la présence récurrente de rythmes répétitifs, sans doute à l’origine du choix des pages, n’impose pas l’uniformité. C’est tout au contraire à la modulation des climats sonores et des arrière plans culturels que nous rend sensibles l’interprète, poète inspiré. Les partitions et leur exécution à l’irréprochable technique nous emportent dans des univers sensibles aux innombrables correspondances intimes, riches d’élévation spirituelle. Ainsi les beaux chants de Max Bruch et d’Ernest Bloch, Adagio sur deux mélodies hébraïques ici transposé du violoncelle au violon pour le premier, ou l’improvisation, une des images de la vie hassidique du second, offrent-ils les voix en échos de la méditation et de la prière, exaltées dans sa tendre effusion par un violon pudique et ému. Identiquement, la Sérénade mélancolique de Tchaïkovski et le Poème pour violon et orchestre de Chausson, matrice et phare de l’album, s’appellent et se répondent, en un jeu troublant de reflets infinis, tel celui de Tourgueniev. L’âme du compositeur russe semble se fondre dans celle du musicien français qui éclairée, en retour se laisse absorber par elle. Et c’est ce miracle spirituel et mystérieux qu’instituent le jeu vibrant de l’interprète et le charme envoûtant des pages élues. Le Royal Philarmonic Orchestra impose sa noble puissance, sans que soit mentionné le nom de celui qui dirige ses forces. Il accompagne avec ferveur Virgil Boutellis – Taft auquel on peut prédire, sans risque d’erreur, un bel avenir, tant s’avèrent patentes ses qualités techniques et la hauteur de son inspiration artistique.

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